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Dialaw Project

© Joseph Banderet

Textes de Sinzo Aanza, Hamidou Anne, Ian de Toffoli et Le Fluide Ensemble – mise en scène Mikaël Serre – Spectacle en français et en wolof – au Monfort Théâtre.

C’est un work in progress construit autour de la figure emblématique de Germaine Acogny, danseuse, chorégraphe, fondatrice de l’École des Sables à Toubab Dialaw, près de Dakar, au Sénégal, réalisé par Mikaël Serre, metteur en scène franco-allemand.

Mère de la danse africaine contemporaine comme on aime à la nommer, Germaine Acogny a embarqué dans une aventure artistique unique dans le sillage de Maurice Béjart qu’elle a côtoyé et avec le soutien du président Léopold Sedar Senghor : la création de Mudra Afrique au Sénégal, une réplique de Mudra Bruxelles adaptée au contexte africain, qui a vu le jour en 2004. Secondée par Helmut Vogt, son époux, L’École des Sables – centre international de danses traditionnelles et contemporaines d’Afrique – est devenue un lieu d’échange et de formation professionnelle pour les danseurs africains et ceux du monde entier. Elle est l’incubateur de nombreux jeunes talents de la danse africaine.

© Joseph Banderet

Or l’inquiétude règne à Toubab Dialaw anciennement port colonial où la construction d’un nouveau port a commencé face à l’École des Sables, suscitant une vive réaction au sein de la population. C’est dans ce contexte que Dialaw Project, est né, de la collaboration entre Germaine Acogny et Mikaël Serre. Différentes étapes de création se sont mises en place à partir de 2021 à l’École des Sables, puis au Centquatre à Paris, suivi d’un temps de résidence en juin au Monfort Théâtre où le résultat du travail est montré, en une première version. La forme finale y sera présentée à la fin du mois d’août, après une dernière étape de résidence élaborée en présence de la chorégraphe.

Dialaw Project est un spectacle pluridisciplinaire qui mêle théâtre, danse et arts visuels. Son thème central en est l’impact du projet mégalomane de construction d’un port en eau profonde, signé entre le gouvernement sénégalais et la puissante société émirati Dubai Port World. Ce projet fera disparaître la côte et ensevelira une terre sous des kilomètres de béton. Face à cette catastrophe écologique et aux bouleversements géopolitiques qui suivront, face à cette négation philosophique et humaine, artistes et intellectuels de différents pays – Allemagne, Congo, France, Luxembourg et Sénégal – se sont mobilisés autour d’un projet théâtral. Ils questionnent la notion de développement et de responsabilité collective, chacun partant de son expérience personnelle en termes de perte de repères et d’exil.

© Joseph Banderet

Mikaël Serre et Germaine Acogny collaborent depuis 2015. Dans un premier solo intitulé À un endroit du début, sous le regard de Mikaël Serre – metteur en scène, acteur, performer, formé aux Beaux-Arts de Saint-Étienne et à l’École Jacques Lecoq, traducteur franco-allemand – la danseuse et chorégraphe remontait à ses origines et identités multiples, à ses ancêtres. Repartant du même point, Dialaw Project rappelle, de domination en domination, les anciennes puissances coloniales et nous mène jusqu’au développement économique à outrance et à la globalisation.

Au début du spectacle, par écran interposé, Germaine Acogny parle de sa cohabitation avec les esprits, les pierres, le sable, puis on entre dans le vif du sujet : la démonstration technique par un PowerPoint austère du Plan sénégalais émergeant 2014/2035 qui mêle discours technocratiques et états de droit, discours démagogiques reléguant les démarches solidaires au rang de lointaines utopies. Diverses communautés se partagent le territoire sénégalais – Toutcouleurs, Wolofs, Lébous entre autres – ces derniers étant implantés à Dialaw quand la ville était aux mains des Portugais. L’un questionne son père, le second est sur la réserve, « Tu sais jamais comment l’autre va t’accueillir. » Le troisième doute. Des images à l’écran complètent la causerie. Le spectacle s’est construit avec des textes de différentes natures et un travail documentaire approfondi : interviews et réactions face au projet du nouveau port, apostrophe au président, histoires de vie, odes au soleil et à la lune, au balafon et à la kora, à la danse, textes d’auteurs actifs sur la scène intellectuelle et artistique d’Afrique et d’Europe. Avec sa construction face à Toubab Dialaw se posent de nombreuses questions : Où va s’évaporer le sel, où se perdre la pêche ? Comment imaginer la disparition des pirogues ? Pourquoi oublier les ancêtres – eux bien présents jusque dans le vent – et piétiner les symboles ? « Si tu n’as pas de racines, comment veux-tu grandir ? » questionne le texte.

Germaine Acogny parlant d’elle disait en 2015 : « Ma vie a souvent été un mouvement, je suis de quelque part et quand je m’en éloigne, je n’échappe pas à mon histoire, c’est que je suis revenu, en moi peut être, à un endroit du début, à l’endroit d’où je viens, aux ancêtres, à ceux qui m’accompagnent. » Ses mots résument sa démarche et l’objectif du spectacle : questionner nos sociétés et notre Histoire partagée ; respecter les traditions qui traversent les âges ; imaginer l’avenir de nos relations économiques, politiques et humaines ; danser la vie.

Brigitte Rémer, le 28 juin 2022

Avec Germaine Acogny (en vidéo), Hamidou Anne, Aicha Dème (guest), Anne-Elodie Sorlin, Pascal Beugré-Tellier, Asssane Timbo. Dramaturgie Jens Hillje – scénographie John Carroll, Mikaël Serre – costumes Jah Gal Doulsy – vidéo Martin Mallon – musique Ibaaku, Antonin Leymarie – lumières et direction technique John Carroll – collaboration artistique Ninon Leclère – auteur et mythologue Ian de Toffoli – auteur et politologue Hamidou Anne – assistante à la mise en scène Anaïs Durand Mauptit.

Jusqu’au 25 juin 2022, cinq avant-premières au Monfort Théâtre à Paris, 106 Rue Brancion, 75015 Paris – tél. : 01 56 08 33 88 – site : lemonfort.fr – En tournée saison 2022/203 et suivante : 19 et 20 mai 2023, théâtres de la Ville du Luxembourg – 23 mai 2023, Théâtre et Cinéma de Choisy le roi – fin mai 2023, Scène nationale de Forbach dans le cadre du Festival Perspectives de Saarbrück – juin 2023 Africologne festival à Cologne (Allemagne) – septembre 2023, KunstFest de Weimar – novembre 2023 Festival EuroScene de Leipzig – novembre 2023 CDN Les 13 Vents àMontpellier.

Le Cantique des cantiques

@ Dan Aucante

@ Dan Aucante

Chorégraphie Abou Lagraa, mise en scène Mikaël Serre, production Compagnie La Baraka, au Théâtre National de Chaillot.

Un texte de l’Ancien Testament, Le Cantique des cantiques – appelé aussi Chant de Salomon – suite de chants d’amour alternés entre une femme et un homme, fait figure de poème fondateur. Sa composition est attribuée à un compilateur du IVè siècle qui aurait fondu différents poèmes en un. C’est un hymne incandescent à la sexualité et à l’amour charnel en même temps qu’un texte sacré qui a fait couler beaucoup d’encre ; on y retrouve des expressions proches dans la littérature du Proche-Orient ancien. « Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes, Derrière ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad. »

Le Cantique des cantiques a inspiré de nombreux artistes, notamment musiciens, peintres et calligraphes. C’est aujourd’hui le chorégraphe Abou Lagraa qui s’empare de ce texte mi-sacré mi-profane, en dialogue avec le metteur en scène et traducteur franco-allemand Mikaël Serre . « Je suis d’obédience musulmane et il me semblait intéressant de travailler sur ce texte qui vient de la Bible et de la Torah » dit-il, prétexte pour questionner le monde d’aujourd’hui. Chorégraphe franco-algérien formé au Conservatoire national supérieur de Musique et de Danse de Lyon, Abou Lagraa débute sa carrière de danseur au SOAP Dance Theater Frankfurt auprès de Rui Horta avant de fonder sa Compagnie, La Baraka, en 1997. Artiste associé à Bonlieu-scène nationale d’Annecy, puis en résidence de production aux Gémeaux-scène nationale de Sceaux, il devient artiste associé à la Maison de la Danse de Lyon en 2015-16 et enchaîne les tournées partout dans le monde, avec sa Compagnie.

Six danseurs et deux comédiennes – non plus un homme et une femme comme dans le texte – portent la pièce en son incandescence par une belle énergie où se relaient le geste et la parole, repris en gros plans sur un écran. « Sur ma couche, pendant les nuits, J’ai cherché, Je ne l’ai point trouvé… Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, Dans les rues et sur les places ; Je chercherai celui que mon coeur aime… Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé… » dit le poème. Ici l’intime et l’universel se rejoignent avec radicalité et expressivité, chambre d’écho des images érotiques qu’il contient, reprises notamment par les duos de la chorégraphie qui montrent différentes facettes de l’état amoureux, pour le meilleur et pour le pire. La place de la femme, la violence, l’intolérance et la déclinaison des thèmes de la sexualité sont mis en tension, de l’érotisme au désir, de la possession au plaisir, de la brutalité au viol, aux frustrations, à la séparation. Musique, lumières et costumes en drapés sont savamment travaillés et servent le propos hors de toute temporalité.

A travers la complexité d’un travail reposant sur un texte poétique archétypal où l’équilibre et le rythme entre la parole et le geste sont délicats, Abou Lagraa et Mikaël Serre cherchent à évoquer d’autres thèmes du présent sur la difficulté du monde, les déplacements de population, l’intolérance, les traumatismes. Ils prennent pour support la Déclaration des droits de l’Humain qu’ils font défiler sur écran, et comme un Manifeste, dénoncent les intégrismes.

C’est un vrai défi que d’oser plonger dans un poème chargé d’alluvions comme l’est Le Cantique des cantiques, où profane et sacré se combattent. Abou Lagraa et Mikaël Serre y réussissent.

Brigitte Rémer, le 6 décembre 2016

Avec Pascal Beugre-Tellier, LudovicAbou Lagraa et Collura, Saül Dovin, Diane Fardoun, Nawal Lagraa-Aït Benalia, Charlotte Siepiora (danseurs), Gaia Saitta, Maya Vignando (comédiennes) – Traduction Olivier Cadiot, Michel Berder (Bayard éditions) – adaptation Mikaël Serre – musique Olivier Innocenti – lumières Fabiana Piccioli – vidéo Giuseppe Greco – scénographie LFA/Looking for architecture – costumes Carole Boissonet – traduction et surtitrage en direct Harold Manning.

30 novembre au 3 décembre 2016, Théâtre national de Chaillot, Place du Trocadéro. 75016. Un atelier de pratique était également proposé samedi 3 décembre, sous l’intitulé Jour de Silence, en présence du philosophe Jean-Luc-Nancy.